Nathalie Balla : portrait et vision d’une entrepreneure inspirante qui n’a pas peur d’échouer.
- Par
- Pollen
- Publié le
- 16/04/2024
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- 6min
Nathalie Balla est sans nul doute faite pour ça.
À 25 ans déjà, elle redresse en quelques mois la marque Madeleine, filiale suisse de Quelle, révélant son caractère tenace, sa soif d’apprendre et sa passion pour les grands défis. L’ex-patronne du géant de la vente par correspondance La Redoute, s’est révélée aux yeux du grand public un peu plus tard. En 2014, elle reprend La Redoute aux côtés d’Eric Courteille et ses 3.000 salariés à Kering pour un euro symbolique, s'attaquant à une perte de 50 millions d'euros, appuyée par un investissement de François-Henri Pinault.
Elle écrit une nouvelle page de l’entreprise, qu’elle cédera en 2021 aux Galeries Lafayette sur une valorisation spectaculaire. Elle permettra au passage une des plus importantes opérations de redistribution aux salariés actionnaires de l’entreprise. La transformation est totale et force le respect. Beaucoup lui posent la question avec l’espoir de goûter à la même réussite : “comment a-t-elle fait… ?” Nous lui posons à notre tour.
À l’écouter, il s’agit certainement d’une force de caractère héritée de l’enfance, mais derrière cette modestie étonnante se cache une vision novatrice et ambitieuse.
La Redoute par Nathalie Balla : portrait d’une entrepreneuse qui ne redoute pas d’échouer.
Nathalie, peux-tu nous présenter ton parcours ? Comment t’a-t-il menée à envisager l’un des redressements les plus ambitieux de ces dernières années ?
Mon père a fui la Hongrie en 1956. Il n’avait presque rien, hormis deux Napoléons d’Or cousus dans son manteau (qu’il n’a jamais dépensés et nous offrira plus tard à mon frère et moi). Je crois que cette conscience d’avoir très peu m’a libérée. Elle a cultivé mon désir d’apprendre et ma détermination. Je n’ai pas peur de l’inconnu, et par-dessus tout, je ne suis pas effrayée à l’idée de perdre ce que je possède. Lorsqu’on est curieux et qu’on a besoin de très peu de choses, on est certainement plus à même de prendre des décisions difficiles, de reprendre des entreprises données pour perdues comme l’était La Redoute.
Je suis arrivée en 2009. La marque enregistrait 50 millions d'euros par an de pertes. Peu croyaient en sa survie. C’était une entreprise de vente par correspondance basée principalement sur le textile qui avait raté le virage du numérique et subissait les contrecoups d’un marché en déclin, fortement concurrentiel. Elle était portée par sa collection annuelle, dans un contexte où l’émergence de la fast-fashion imprimait un rythme redoutable, avec un renouvellement permanent des collections.
En 2014, j'ai compris que le projet était si ambitieux et engageant qu'il serait judicieux d'avoir une approche collective. J'ai donc uni mes forces avec Eric Courteille. Nous étions deux co-présidents à la tête de La Redoute et de Relais Colis, tous deux en charge de l’ensemble des domaines. J'ai appris à partager les décisions, à me remettre régulièrement en question.
Quelle a été ta vision pour La Redoute ?
Nous avions une vision très claire pour La Redoute : “embellir la vie des familles”. Celle-ci exigeait d’aller au-delà d’une ”simple” transformation numérique. Elle nous demandait de changer chaque aspect de l’entreprise. Nous étions un David contre Goliath face à la concurrence des géants du retail et notamment des nouveaux acteurs américains. Nous disposions de ressources limitées, il nous fallait donc être stratégiques.
Eric, le comité exécutif et moi-même étions convaincus que nous réussirions à sauver La Redoute. Je reconnais aujourd’hui que nous étions ambitieux, mais nous avions un plan.
Comment as-tu déployé ce plan pour transformer la marque ?
Notre plan d’action se focalisait sur quatre piliers clés :
- Le produit : nous étions certains que notre force principale résidait dans le développement et la spécialisation de nos marques propres. À l’époque, le choix de la différenciation s’est porté sur la maison et la décoration, caractérisées par des barrières à l’entrée qui n’étaient pas encore exploitées par les acteurs majeurs du retail. Nous avons décidé de réduire la diversité de nos marques, de nous attacher plus largement à l’émergence de celles qui paraissaient les plus prometteuses. Nous nous sommes dotés, à l'image des acteurs du luxe, d'un premier directeur artistique pour La Redoute Intérieurs, d’un second pour AMPM, ainsi que d'un studio de design et d'une équipe qualité. Nous avons augmenté la désirabilité du segment prêt-à-porter à travers des collaborations avec de jeunes designers prometteurs (Vaccarello, Jacquemus, etc.) et des capsules Made in France. En 2014, le prêt à porter pesait près de 80 % du volume d'affaires de La Redoute. En 2022, il ne représentait plus que 25 %, tandis que la part de nos marques propres est restée stable à 70 % de notre volume d'affaires. Tout cela, avec quatre marques principales contre plus de douze à mon arrivée.
- La communication : pour accélérer la transition numérique, nous avons développé la marketplace, ce qui a du sens car La Redoute a toujours été un distributeur de marques. Nous avons amorcé l’abandon progressif du catalogue papier (développé dans les années 1920 et au cœur du modèle La Redoute) par des showrooms connectés. Cette transition s’est opérée progressivement, du catalogue papier à une approche numérique, puis une communication omnicanale. Au cours de cette période, nous étions toujours perçus comme un acteur du textile mais nous avons intégré la nécessité de sensibiliser notre public à nos segments maison et décoration. L’ouverture des showrooms dans toute la France a permis à nos clients de découvrir le style, la qualité et le service de nos deux marques, La Redoute Intérieurs et AMPM. Étonnamment, nous avons gagné de nombreux jeunes clients grâce à ces showrooms qui ont été un vrai succès.
- Les services : Nous avons fortement investi dans un nouvel entrepôt innovant afin de nous permettre de servir nos clients en deux heures contre 24 à 48 heures auparavant. La qualité et l’efficacité de notre modèle de livraison nous ont permis de renforcer le taux de conversion et la fidélité de nos clients, nous laissant la possibilité de référencer une large gamme de produits sur notre marketplace. En 2020, nous avons lancé la plateforme de seconde main La Reboucle pour proposer à nos clients un service de produits d'occasion leur permettant d'accroître leur pouvoir d’achat sur la plateforme. Nous avons adopté une approche très axée sur les données pour augmenter la satisfaction et l’expérience, depuis l'approvisionnement, la logistique jusqu’à la livraison.
- L’équipe : Nous n’aurions su mettre en place une telle stratégie sans compétences d’exécution. Nous nous sommes entourés des meilleurs. Nous avons développé une culture forte, avec un état d'esprit fondé sur l'innovation permanente afin de nous investir dans la transformation de La Redoute. “Sauver La Redoute” est devenue notre ambition commune. Il est toujours plus facile de s’engager et de motiver quand on sait où l’on se situe et où l’on va. Chaque petite victoire a été une véritable fierté. Elle nous a unis. Elle a fédéré les équipes autour de leaders qui mettent le groupe avant leurs objectifs personnels.
Quel est le bilan de cette stratégie ? Comment expliquer un tel succès ?
Malgré tous les pronostics, La Redoute est toujours là. L’entreprise croît de manière rentable et en 2022, après le redressement, elle a généré un volume de ventes de 1,2 milliards d’euros avec une marge d’EBITDA de 10%. À la suite du vaste plan de restructuration que nous avons mené, nous avons ouvert 49% du capital de l'entreprise à tous les employés et managers afin de leur partager une part significative de ce succès. L’entreprise a par la suite été acquise par le groupe Galeries Lafayette (permettant la distribution de plus de 100 millions d’euros aux employés.)
S’agissant des méthodes, il n'y a pas de secret à une telle réussite. Les compétences les plus importantes sont le travail et la discipline. Travaillez dur, ne renoncez jamais, soyez exemplaire, cultivez l'engagement et la confiance. Apprenez à désapprendre. Soyez curieux. Remettez-vous constamment en question.
Restez au fait des différentes tendances du marché, des technologies comme l'IA ou des défis environnementaux...
Je suis convaincue que les solutions du passé ne sont pas nécessairement celles du futur. Il est parfois intéressant d’aller à contre-courant de l'ordre établi.